Charly Alverda

Texte de Charly Alverda

 

Ce texte est paru sur la liste Tarot Tradition animé par Emmanuelle Cianferani et Laurent Edouard http://traditiontarot.com/forum/viewtopic.php?id=241

Bonjour

Le tarot Vieville est exclusivement hermétique et ce qui est – à ma connaissance – unique, de signature Rose-Croix et c’est ce que je démontre ici…

… Les cartes de la Quinte Essence, les 22 “ triomphes “, sont des emblèmes ou hiéroglyphes au sens du XVIè siècle car leur création depuis la découverte des pseudos hiéroglyphes d’Horappolon était censée véhiculer la science “ égyptienne” d’Hermès, synthèse de pythagorisme, de néo-platonisme et de Kabbale hébraïque qui fit toute la Renaissance artistique. Cette science basée sur l’analogie qu’est l’hermétisme vit ses plus belles fleurs s’épanouir au tout début du XVIIè siècle dans le mouvement Rose-Croix. (Lire Frances Yates : La philosophie occulte à l’époque élisabèthaine et Pierre Béhar : Les langues occultes de la Renaissance.)

Le Chef d’Oeuvre de Vieville cartier parisien, notons le, signe cette reconnaissance envers les Manifestes R + C : la Fama, la Confessio et les Noces chymiques de Christian Rozenkreutz, et ceci dans un contexte très défavorable. En 1623 des affiches sybillines étaient parues à Paris. Gabriel Naudé (bibliothécaire de Richelieu) nous relate les faits dans ses « Révélations à la France sur la vérité de l’histoire des Frères de la Rose-Croix » Voici le texte de la première affiche apparue sur les quais de Paris :

« Nous, députés du Collège des Frères de la Rose-Croix, faisons séjour visible et invisible dans cette ville par la grâce du Très-Haut, vers lequel se tourne le coeur des justes. Nous montrons et enseignons, sans livres ni marques, à parler toutes sortes de langues des pays où nous voulons être, pour tirer les hommes, nos semblables, d’erreur et de mort ».

Ces affiches et d’autres aussi étranges qui paraîtront quelques jours plus tard, rappelleront à l’élite intellectuelle française certains manifestes circulant en cinq langues dans toute l’Europe depuis une dizaine d’années. Le plus fameux de ces manifestes : la FAMA est intitulé : La Renommée de la Fraternité de l’Ordre très illustre des Rose-Croix. Thomas Corneille, à propos de la Pierre Philosophale – et non concernant sa pièce de théâtre du même nom – écrivait : « Mille gens en parlent, et plusieurs pourtant n’en connoissent que le nom. Les Roze-Croix ont grande relation avec ceux qui la cherchent, et avec une Secte particulière de Gens qu’on appelle Cabalistes ». Et, poursuivant sur les R + C : « Beaucoup de leurs visions, et surtout les ridicules pensées qu’ils avoient que chaque Elément estoit remply d’Habitants invisibles, et qu’ils pouvoient prendre alliance parmy eux comme Sages et en 1623, on ne parloit d’autre chose à Paris ». Tout au long du XVIIè siècle, en france, les R + C (par ailleurs protestants) furent inquiétés. « l’affaire des poisons » n’arrangea rien à cause du groupe d’« alchimistes » douteux qui avait fabriqué les poisons. On trouva un poème alchimique dans les papiers de la Voisin et Glaser se trouvait, par ailleurs, impliqué dans l’affaire comme complice de la Brinvilliers. Tout cela était lié dans l’imaginaire collectif aux R + C et aux Cabalistes.

Vieville risquait le bûcher, tout au moins les galères, il le savait. Descartes qui était parti dans les Allemagnes à la recherche des R+C et de retour à Paris à cette date fut obligé de prouver sa non appartenance au mouvement, ce qu’il fit en arguant qu’il ne pouvait appartenir à la Secte des Invisibles faisant preuve de sa visibilité !.

C’’est donc avec un certain courage que notre cartier dissimula dans ses cartes sa connaissance de l’hermétisme R + C. Toutes ses cartes sont inversées et doivent être regardées dans un miroir. Contrairement à l’usage répandu dès cette époque ses cartes ne sont pas légendées mais les noms sont inscrits sur son As de Deniers et son 2 de Coupes, ce qui lui permet d’appeler Dame la Tempérance, Viel art l’Hermite… Et d’éviter de mettre des nombres en regard. L’ordre de certains triomphes est lui même inversé, ce qui n’était pas rare à cause des techniques de gravure, nombre de cartiers ont inversé le IX et le XI, mais c’est ici intentionnel, le Viellard, à la barbe mercurielle fournie, aimante et condense l’énergie d’en-bas quand elle remonte de terre principalement au printemps. Il inverse aussi VII et VIII. VII avec la Balance est le 7è signe d’Air et le Chariot est tiré par des sphinx.

La Dame de toutes ses pensées nous oblige à utiliser certain miroir…

Dans ce miroir serpentiforme apparaissent deux mots, SOL et FAMA, mots ne pouvant se lier grammaticalement. Ainsi, maître Jacques attire notre attention sur la FAMA (la Renommée) des Rose-Croix, leur Art du Soleil et, aussi sur la SEULE FEMME (ne dit-on pas, par ignorance, « des remèdes de bonne femme » pour des remèdes de bonne renommée, bone fama ?)

La dame couronnée de pourpre élève de sa main gauche un sceptre ailé et de sa droite abaisse un vase doré qui répand un liquide couleur mercure dans une urne soulignée de rouge, tout en « fixant » du regard le double serpent de la banderole ou mercure double. Le mercure est appelé par les maîtres « miroir où l’on voit toute la nature à découvert ». Très subtilement, le cartier joue ainsi avec l’image traditionnelle de la Tempérance et la figure secrète du caducée, attribut du mercure ailé. Selon le dictionnaire mytho-hermétique de Dom Pernety, « l’un de ces serpents représente la partie volatile de la matière philosophique, l’autre signifie la partie fixe, qui se combattent dans le vase. L’or philosophique les met d’accord en les fixant l’un à l’autre et en les réunissant en un seul corps inséparablement. »

La Tempérance des tarots est toujours représentée avec des ailes d’ange ; dans les tarots plus anciens elle prend le nom archaïque d’attrempance et le Comte de la Marche trévisane de dire dans sa Parole délaissée : « Notre œuvre n’est autre chose que vapeur et eau, qui est dite mondifiante, ou nettoyant, blanchissant, rubifiant et déjetant la noirceur des corps, et les philosophes l’ont nommée Eau permanente […] Alphidius a nommé cette eau attrempance ou mesure des sages. »

Vieville semble bien considérer son Tarot comme le Livre T des R + C. Selon la Fama, en 1604, le Frère N.N. chef « du cercle intérieur » modifiant une partie des bâtiments de la fraternité découvre la porte cachée d’une crypte faite de sept côtés et de sept angles illuminée par un soleil artificiel, « un autre soleil qui avait apprit cela auprès du Soleil ». Au centre de la crypte, sur un autel circulaire est gravée une inscription : « j’ai fait de ce sépulcre un unique résumé de l’univers », puis quatre autres inscriptions accompagnées des quatre animaux évangéliques. En déplaçant l’autel on découvre le corps du Père Rosenkreutz parfaitement conservé et tenant dans sa main le Livre T. La Fama précise qu’il « est immédiatement après la Bible, notre trésor le plus grand que nous ne devons pas livrer à la critique du monde ».

Vieville remplace la Maison-Dieu par la Foudre désignant ainsi non plus l’athanor-contenant mais le contenu avec la Toison d’or sous le chêne recueillant le mercure. “Note ce chesne” dira laconiquement Flamel dans son livre aux 3 X 7 feuillets : le Livre des Figures Hiéroglyphiques.

Il montre l’Etoile Flamboyante – symbole de l’esprit universel de la Nature – avec la carte XVII au dessus de la cathédrale au vitrail – lui aussi flamboyant – et au dessus du Temple aux 2 colonnes et au pavé mosaïque. Il fait ensuite glisser la traditionnelle fileuse sous le soleil dans la XVIIIè carte, cette fileuse aimante l’influx universel vu avec la Foudre et que revoie la lune montante au printemps. En XIX, l’enfant du Soleil sur son cheval de bois indique que ce n’est plus que : lusus puerorum : jeu d’enfant et travail de femme d’obtenir la Quinte Essence symbolisée dans le 3è tarot : Le Monde et l’hermaphrodite auréolé revêtu de la cape aux 3 couleurs de l’Oeuvre.

Les métamorphose nécessaires à l’obtention de cet “enfant hermaphrodite du Soleil et de la Lune” en XX est décrite par Flamel sensiblement avec la même symbolique : « Sur un champ vert trois ressuscitants, deux hommes et une femme entièrement blancs, deux anges au-dessus, et sur les anges, la figure du Sauveur, venant juger le monde, vêtu d’une robe parfaitement citrine blanche. J’ai donc fait ici peindre un corps, une âme et un esprit tous blancs comme s’ils ressuscitaient, pour te montrer que le soleil, la lune et le mercure sont ressuscités en cette opération, c’est-à-dire sont faits éléments de l’air et blanchis. »

Ces métamorphoses de la matière et de l’esprit sont détaillées à l’extrême avec le quaternaire du tarot : dans les 4 X 4 Honneurs ou ENSEIGNEs et les 4 X 10 numérales (1+2+3+4). Il faut un livre pour évoquer les déclinaisons des mutations de ce Mercure des Philosophes, je les ai déjà beaucoup disséminées sur notre cher forum. Ici, ma surprise est toujours totale de voir qu’il y ait si peu d’hermétistes chez les tarologues, l’hermétisme étant pourtant le fondement de leur pratique : divination, magie cérémonielle…

Pour conclure provisoirement (il y aurait encore tant de choses à dire !!) avec Vieville le Rose-Croix, je le crois protestant car il préfère le symbolisme mythologique au catholique. Je n’emploierai donc pas le terme de Lys-Croix comme pour Flamel. Il place d’ailleurs le signe de l’or et du soleil au centre du Temple aux 2 colonnes payennes et au centre de la coiffure en “bouche de poisson” du Pape. Sa papesse entrouvre le Livre M de la Nature (MWMW), elle est la Vierge Noire qui s’illumine à la 3è rotae (des R + C), la triple coiffe le souligne de rouge.

Au Pendu qui reflète la structure du Tarot, Vieville fait faire le “4 de chiffre” qui était un symbole de la société très secrète appelée AGLA regroupant les “gens du papier”. Au Mat, aux ailes dans les yeux, il fait porter un sabot (de cabaliste). Il a également placé les 2 couleurs du soufre et du mercure dans sa “marque” en 4 de Deniers… et deux Roses Rouges en 3 de Deniers.

Nous n’aurons plus de nouvelles de Vieville après 1664 quand les cartiers reçurent l’ordre de se grouper dans hôtel de Nemours sous la surveillance du fermier général.

Cordialement

Charly Alverda

N. B. Je précise que le Flamel que j’ai évoqué ici n’est nullement le riche Flamel du moyen-âge, mais un alchimiste contemporain de Vieville.


Si vous avez aimé ce texte, en voici trois autres de Charly :

L’As de la Belle selon Viéville et le Mutus Liber

Maison-Dieu par le regretté Baron Emmanuel d’Hoogvhorst

Le tarot de Jacques Vieville est Rose+Croix