REGLE DV JEU DES TAROTS 1637

En français modernisé

 

Ce jeu qui est composé de soixante dix-huit cartes, se décompose en cinq bandes, la première et la plus noble de toutes, appelée triomphes qui sont au nombre de vingt-deux : et les quatre autres couleurs sont nommées épées, bâtons, coupes et deniers.

Chacune d’elles a quatorze cartes, à savoir : le Roi, la Reine, le Chevalier, et le Valet, qui s’appellent aussi les quatre honneurs.

Et le reste depuis le dix jusqu’à l’as, n’ayant pas peu de rapport à ces petites gens de la lie du peuple, qui sont beaucoup plus à charge qu’à plaisir, principalement quand il s’en rencontre de toutes les couleurs avec peu de triomphes : car alors les Rois, mêmes avec leurs Reines ni tout leur empire, ne peuvent empêcher une ruine entière au joueur, qui n’aurait pu fléchir les autres à refaire.

La beauté de ce jeu est d’avoir force triomphes et principalement les hautes avec le Monde, le Mat, le Bateleur, et quelques Rois : par ce qu’avec les triomphes on surmonte tous les efforts des quatre couleurs, quand on fait des coupes.

Et par le moyen du Monde, Mat, Bateleur, et des Rois, on se fait payer autant de marques de chacun que l’on en peut lever en jouant, à cause de quoi on les nomme Tarots par excellence. Et toutes les fois qu’ils paraissent dans le jeu, il leur faut payer le tribut ou eux-mêmes sont contraints de payer leur rançon s’ils tombent entre les mains de leurs ennemis, c’est à dire que celui qui les perd donne une marque à chacun.

Mais avant d’entrer plus avant dans le détail de ce jeu, il me semble à propos de dire qu’il n’y faut être que trois personnes au plus, et qu’il n’est pas fort agréable à deux, étant même encore nécessaire d’en supposer un troisième que l’on appelle le Mort, duquel l’on tire selon le hasard autant de cartes que les autres font de mains pour être emportées par celui qui est le plus fort. Néanmoins ceux qui l’aiment extrêmement peuvent quelquefois se divertir de la sorte.

Mais afin de le trouver plus agréable il est bon d’ôter douze cartes inutiles des quatre couleurs, c’est à dire trois de chacune, à savoir les dix, neuf, et huit des coupes et deniers, et les trois, deux et as d’épée et bâtons, qui sont les plus petites de chacun de ces couleurs, par ce que les hautes des coupes et deniers ne sont pas de plus grande valeur que les basses des épées et bâtons.

Et ainsi comme il faut distribuer toutes les cartes entre les joueurs, il en demeurera vingt-quatre à celui qui fait, et vingt et une à chacun des autres.

Cette une, et ces quatre de plus que les vingt étant pour faire les écarts, sans toutefois qu’il soit loisible d’écarter aucun des sept Tarots, ou des triomphes sous peine de deux marques à chacun. Que si l’on écarte mal ou que l’on n’écarte point du tout, il faut donner une marque à chacun et ne plus rien compter.

Si l’on donne mal tout de même, on perd le coup, et les cartes ne peuvent se donner que trois à trois ou cinq à cinq. Et n’est pas permis de les regarder sinon celle de dessous sous peine d’une marque à chacun. Que s’il se trouve un Tarot sous la main de celui qui donne, il lui vaudra une marque de chacun.

Au reste il n’est non plus permis de renoncer à ce jeu qu’à tous les autres jeux de cartes sous peine d’une marque à chacun et de ne plus rien compter, si toutefois l’on ne reconnaît sa faute en levant la seconde main d’après. Mais si par mégarde ou autrement l’on jette sur la table une carte qui ne soit point de renonce on ne la doit plus retirer.

Celui qui a l’as de deniers appelé la carte de la belle, gagne une marque de chacun en la jouant soit qu’on la perde ou qu’on ne la perde pas.

  • Trois Rois valent une marque de chacun.
  • Quatre Rois valent quatre marques de chacun à cause de l’Impériale et des quatre Tarots.
  • Autrement si l’on voulait compter cinq ou six Tarots, lesdits quatre Rois ne valent que trois marques.
  • Deux Rois et le Mat gagnent une marque de chacun.
  • Trois Rois et le Mat deux.
  • Quatre Rois et le Mat six.
  • Le Monde, le Mat et le Bateleur, trois.
  • Quatre Tarots, un.
  • Cinq Tarots, deux.
  • Six Tarots, trois.
  • Sept Tarots, quatre.
  • Les sept Tarots et la belle, cinq.

Si quelqu’un n’a l’un des trois Tarots : Monde, Mat, ou Bateleur, il paye une marque a celui qui en a deux, et celà s’appelle : “qui n’a le sien”.

Dix triomphes valent une marque de chacun.
Quinze triomphes, deux.
Vingt triomphes, Trois.
Qui a les quatre honneurs de chaque point ce qui s’appelle Impériale gagne une marque de chacun.
Qui a les quatre Reines, les quatre Chevaliers, ou les quatre Valets, qui s’appellent aussi Impériale, gagne pareillement une marque de chacun. Si quelqu’un a les quatre hautes ou les quatre basses de triomphes, ce qui s’appelle Brizigole gagne une marque de chacun. Si quelqu’un a les cinq hautes ou les cinq basses, il en gagne deux. Si quelqu’un a les six hautes ou les six basses, il en gagne trois. S’il fait le Bateleur, ou un Roi le dernier, il en gagne six. Celui qui ne s’est point excusé en jouant en paye deux à chacun et cette excuse se fait avec la carte du Mat, qui est un des sept tarots, qui ne prend pas et ne peut être pris, mais se présente sur la main des autres joueurs, et se remet dans les cartes qui sont levées. Si quelqu’un ne montre pas les dix, quinze ou vingt triomphes il ne les compte point. Et tout de même, si quelqu’un oublie une de ses Impériales, Brizigoles, trois Rois, deux Rois et le Mat, ou “qui n’a le sien”, n’est plus reçu à s’en souvenir.

Et d’autant que la valeur des cartes est aussi considérée lors qu’il faut décompter à la fin du coup, il est nécessaire de savoir que chacun des sept Tarots vaut cinq points, s’il est joint avec deux autres cartes de nulle valeur.

Les Reines valent quatre, les Chevaliers trois, et les Valets deux, se trouvant pareillement chacun accompagnés de deux cartes sans prix. Et une main toute simple vaut un point.

Or afin de ne perdre aucune de ces cartes à la fin du coup, il est requis que chacune des trois personnes qui jouent aient vingt-cinq de ces points dans son jeu : car s’il en perd cinq il payera une marque à celui qui les gagnera : s’il en perd dix, il payera deux marques et s’il en perd quinze il payera trois marques : mais s’il n’en perd que trois ou quatre il ne payera rien : et tout de même s’il n’en perd que sept, huit ou neuf, il ne payera qu’une marque : et dans ce décompte les triomphes, excepté le Monde, le Mat, et le Bateleur, sont de nulle valeur pour les points que j’ai dit.

Que si coupant pour voir qui fera, il se rencontre quelque triomphe, elle sera plus estimée qu’aucunes des cartes du point, sinon le Mat qui ne vaut rien du tout en ce rencontre.

Et si quelqu’un a mauvais jeu, il lui sera permis de prendre patience, et se désennuyer à donner du plaisir aux autres, si on ne lui fait la grâce de recommencer le coup en payant force marques.

Sainte-Suzanne, page ajoutée le 2 janvier 2008