La mort apprivoisée Par Doris Lussier La mort comme conseillère Novembre nu et gris. La lente mort des choses me parle discrètement de la mienne. J’y pense. J’y pense sans trop d’effroi. Mourir, c’est aussi naturel que vivre. Je voudrais même que ma mort soit aussi joyeuse que le fut ma vie. Pourquoi pas, après tout? Comme disait Michel Audiard : ” La mort, on est fait pour ça ! ” Une naissance, c’est une condamnation à mort. Le temps de vivre n’est qu’un sursis. On meurt un peu chaque jour, assassiné par la vie et ” chaque instant de la vie est un pas vers la mort.” Toutes les heures blessent, la dernière tue. Mais faut-il vivre tristes pour ça? Au contraire, c’est justement parce que la vie est brève qu’il faut la goûter au maximum et à l’optimum. Il faut prendre la mort par le bon bout, c’est tout. Moi, j’y pense. Je ne pense pas qu’à elle, mais j’y pense. J’ai déjà vécu beaucoup plus que la moitié de ma vie; je sais que je suis sur l’autre versant des cîmes et que j’ai plus de passé que d’avenir. Alors j’ai sagement apprivoisé l’idée de ma mort. Je l’ ai domestiquée et j’en ai fait ma compagne si quotidienne qu’elle ne m’ effraie plus, ou presque. Au contraire, elle va jusqu’à m’inspirer des pensées de joie. On dirait que la mort m’apprend à vivre. Si bien que j’en suis venu à penser que la vraie mort, ce n’est pas mourir, c’est perdre sa raison de vivre. Et bientôt, quand ce sera mon tour de monter derrière les étoiles, et de passer de l’autre côté du mystère, je saurai alors quelle était ma raison de vivre. Pas avant. Mourir, c’est savoir, enfin ! Car la mort n’est que la porte noire qui s’ouvre sur la lumière. La tombe est un berceau. Mourir au monde, c’est naître à l’éternité. C’est passer du monde des ombres qu’est notre séjour terrestre à celui des réalités. Un comédien a dit : ” La mort, ce n’est pas si tragique que ça : ce n’est que le premier rideau. après, il y a le deuxième acte “. Chaque mortel qui finit est un immortel qui commence. Mais pour envisager la mort avec sérénité, il faut croire à quelque chose après. Tout est là. Ou, à tout le moins, espérer quelque chose. Car la mort n’a pas de sens si tout finit avec elle. Ça serait trop bête. On n’existe pas pour rien, ça me paraît absurde. Et l’absurde n’existe pas ailleurs que dans nos petites têtes trop faibles pour comprendre. Il n’y a pas d’être sans raison d’être, ça c’est certain. Voltaire lui-même ne pouvait pas voir une horloge sans penser à l’horloger. On peut ne pas avoir la foi – parce que c’est un mystère -, mais on ne peut pas ne pas avoir l’espérance. Sans l’espérance, non seulement la mort n’a plus de sens, mais la vie non plus n’ en a pas. La plus jolie chose que j’ai lue sur la mort, c’est Victor Hugo qui l’a écrite. C’est un admirable chant d’espérance en même temps qu’un poème d’ immortalité. ” Je dis que le tombeau qui sur la mort se ferme Ouvre le firmament, Et que ce qu’ici bas nous prenons pour le terme Est le commencement.” P.S. Doris Lussier, québécois, était un avocat, devenu comédien et humoriste. Il était aussi un poète et un philosophe très apprécié. Il est mort en 1993.