Recherches sur les Tarots et sur la Divination par les Cartes

Par Monsieur le Conte de Mellet

I.
Livre de Thot.

Le désir d’apprendre se développe dans le cœur de l’homme à mesure que son esprit acquiert de nouvelles connoissances: le besoin de les conserver, & l’envie de les transmettre, fit imaginer des caractères dont Thot ou Mercure fut regardé comme l’inventeur. Ces caractères ne furent point, dans le principe, des signes de convention, qui n’exprimassent, comme nos lettres actuelles, que le son des mots; ils étoient autant d’images véritables avec lesquelles on formoit des Tableaux, qui peignoient aux yeux les choses dont on vouloit parler.

Il est naturel que l’Inventeur de ces Images ait été le premier Historien: en effet, Thot est considéré comme ayant peint les Dieux (Les Dieux, dans l’Ecriture & dans l’expression Hiéroglyphique, sont l’Eternel & les Vertus, représentées avec un corps.), c’est-à-dire, les actes de la Toute-puissance, ou la Création, à laquelle il joignit des Préceptes de Morale. Ce Livre paroît avoir été nommé A-Rosh; d’A, Doctrine, Science; de Rosch (Rosh est le nom Égyptien de Mercure & de sa Fête qui se célébroit le premier jour de l’an.), Mercure, qui, joint à l’article T, signifie Tableaux de la Doctrine de Mercure; mais comme Rosh veut aussi dire Commencement, ce mot Ta-Rosh fut particulierement consacré à sa Cosmogonie; de même que l’Ethotia, Histoire du Tems, fut le titre de son Astronomie; & peut-être qu’Athothes, qu’on a pris pour un Roi, fils de Thot, n’est que l’enfant de son génie, & l’Histoire des Rois d’Égypte.

Cette antique Cosmogonie, ce Livre des Ta-Rosh, à quelques légères altérations près, paroît être parvenu jusqu’à nous dans les Cartes qui portent encore ce nom (Vingt-deux Tableaux forment un Livre bien peu volumineux; mais si, comme il paroît vraisemblable, les premieres Traditions ont été conservées dans des Poëmes, une simple Image qui fixoit l’attention du Peuple, auquel on expliquoit l’événement, suffisoit pour lui aider à les retenir, ainsi que les vers qui les décrivoient.), soit que la cupidité les ait conservées pour filouter le désoeuvrement, ou que la superstition ait préservé des injures du tems, des symboles mystérieux qui lui servoient, comme jadis aux Mages, à tromper la crédulité.

Les Arabes communiquèrent ce Livre (On nomme encore Livret aus Lansquenet, ou Lands-Knecht, la Série de Cartes qu’on donne aux pontes.) ou Jeu aux Espagnols, & les Soldats de Charlequint le portèrent en Allemagne. Il est composé de trois Séries supérieures, représentant les trois premiers siècles, d’Or, d’Argent & d’Airain: chaque Série est formée de sept Cartes (Trois fois 7, nombre mystique, fameux chez les Cabalistes, les Pythagorieniens, &c.).

Mais comme l’Ecriture Égyptienne se lisoit de gauche à droite, la vingt-unième Carte, qui n’a été numérotée qu’avec des chiffres modernes, n’en est pas moins la premiere, & doit être lue de même pour l’intelligence de l’Histoire; comme elle est la premiere au Jeu de Tarots, & dans l’espèce de Divination qu’on opéroit avec ces Images.

Enfin, il y a une vingt-deuxième Carte sans numéro comme sans puissance, mais qui augmente la valeur de celle qui la précède; c’est le zéro des calculs magiques: on l’appelle la Folie.

 

Première Série.
Siècle d’Or.

La vingt-unième, ou première Carte, représente l’Univers par la Déesse Isis dans un ovale, ou un oeuf, avec les quatre Saisons aux quatre coins, l’Homme ou l’Ange, l’Aigle, le Boeuf & le Lion.

Vingtème, celle-ci est intitulée le Jugement: en effet, un Ange sonnant de la trompette, & des hommes sortant de la terre, ont dû induire un Peintre, peu versé dans la Mythologie, à ne voir dans ce tableau que l’image de la Résurrection; mais les Anciens regardoient les hommes comme enfans de la Terre (Les dents semées par Cadmus, &c.); Thot voulut exprimer la Création de l’homme par la peinture d’Osiris, ou le Dieu générateur, du porte-voix ou Verbe qui commande à la matière, & par des Langues de Feu qui s’échappent de la nuée, l’Esprit (Peint même dans nos Histoires sacrées.) de Dieu ranimant cette même matière; enfin, par des hommes sortant de la terre pour adorer & admirer la Toute-puissance: l’attitude de ces hommes n’annonce point des coupables qui vont paroître devant leur Juge.

Dix-neuvième, la Création du Soleil qui éclaire l’union de l’homme & de la femme, exprimée par un homme & une femme qui se donnent la main: ce signe est devenu depuis celui des Gémeaux, de l’Androgyne: Duo in carne una.

Dix-huitième, la Création de la Lune & des Animaux terrestres, exprimés par un Loup & un Chien, pour signifier les Animaux domestiques & sauvages: cet emblême est d’autant mieux choisi, que le Chien & le Loup sont les seuls qui hurlent à l’aspect de cet astre, comme regrettant la perte du jour. Ce caractère me feroit croire que ce Tableau auroit annoncé de très-grands malheurs à ceux qui venoient consulter les Sorts, si l’on n’y avoir peint la ligne du Tropique, c’est-à-dire, du départ & du retour du Soleil, qui laissoit l’espérance consolante d’un beau jour & d’une meilleure fortune. Cependant deux Fortresses qui défendent un chemin tracé de sang, & un marais qui termine le Tableau, présentent toujours des difficultés sans nombre à surmonter pour détruire un présage aussi sinistre.

Dix-septième, la Création des Étoiles & des Poissons, représentées par des Étoiles & le Verseau.

Seizième, la Maison de Dieu renversée, ou le Paradis terrestre dont l’homme & la femme sont précipités par la queue d’une Comète ou l’Épée Flamboyante, jointe à la chûte de la grêle.

Quinzième, le Diable ou Typhon, dernière Carte de la première Série, vient troubler l’innocence de l’homme & terminer l’âge d’or. Sa queue, ses cornes & ses longues oreilles l’annoncent comme un être dégradé: son bras gauche levé, le coude plié, formant une N, symbole des êtres produits, nous le fait connoître comme ayant été créé; mais le flambeau de Prométhée qu’il tient de la main droite, paroît completter la lettre M, qui exprime la génération: en effet, l’Histoire de Typhon nous induit naturellement à cette explication; car, en privant Osiris de sa virilité, il paroît que Typhon vouloit empiéter sur les droits de la Puissance productrice; aussi fut-il le père des maux qui se répandirent sur la terre.

Les deux Êtres enchaînés à ses pieds marquent la Nature humaine dégradée & soumise, ainsi que la génération nouvelle & perverse, dont les ongles crochus expriment la cruauté; il ne leur manque que les ailes (le Génie ou la Nature angélique), pour être en tout semblables au diable: un de ces êtres touche avec sa griffe la cuisse de Typhon; emblême qui dans l’Ecriture Mythologique fut toujours celui de la génération (La naissance de Bacchus & de Minerve sont le Tableau Mythologique des deux générations.) charnelle: il la touche avec sa griffe gauche pour en marquer l’illégitimité.

Typhon enfin est souvent pris pour l’Hiver, & ce Tableau terminant l’âge d’or. annonce l’intempérie des Saisons, que l’homme chassé du Paradis va éprouver par la suite.

 

Seconde Série.
Siècle d’Argent.

Quatorzième, l’Ange de la Tempérance vient instruire l’homme, pour lui faire éviter la mort à laquelle il est nouvellement condamné: il est peint versant (Peut-être son attitude a-t-elle trait à la culture de la Vigne.) de l’eau dans du vin, pour lui montrer la nécessité d’affoiblir cette liqueur, ou de tempérer ses affections.

Treizèime; ce nombre, toujours malheureux, est consacré à la Mort, qui est représentée fauchant les têtes couronnées & les têtes vulgaires.

Douzième, les accidens qui attaquent la vie humaine, représentés par un homme pendu par le pied; ce qui veut asussi dire qui, pour les éviter, il faut en ce monde marcher avec prudence: Suspenso pede.

Onzième, la force vient au secours de la Prudence, & terrasse le Lion, qui a toujours été le symbole de la terre inculte & sauvage.

Dixième, la Roue de Fortune, au haut de laquelle est un Singe couronné, nous apprend qu’après la chûte de l’homme, ce ne fut déjà plus la vertu qui donna les dignités: le Lapin qui monte & l’homme qui est précipité, expriment les injustices de l’inconstante Déesse: cette roue en même-tems est l’emblême de la roue de Pythagore, de la façon de tirer les sorts par les nombres: cette Divination est appellée Arithomancie.

Neuvième, l’Hermite ou le Sage, la lanterne à la main, cherchant la Justice sur la Terre.

Huitième, la Justice.

 

Troisième Série.
Siècle de Fer.

Septième, le Chariot de Guerre dans lequel est un roi cuirassé, armé d’un javelot, exprime les dissensions, les meurtres, les combats du siècle d’airain, & annonce les crimes du siècle de fer.

Sixième, l’Homme peint Flottant entre le vice & la vertu, n’est plus conduit par la raison: l’Amour ou le désir (La concupiscence.), les yeux bandés, prêt à lâcher un trait, le fera pencher à droite ou à gauche, suivant qu’il sera guidé par le hasard.

Cinquième, Jupiter ou l’Éternel monté sur son Aigle, la foudre à la main, menace la Terre, & va lui donner des Rois dans sa colère.

Quatrième, le Rois armé d’une massue (Osiris est souvent représenté un fouet à la main, avec un globe & un T: tout cela uni, peut avoir produit dans la tête d’un Cartier Allemand une Boule Impériale), dont l’ignorance a fait par la suite une Boule Impériale: son casque est garni par-derrière de dents de scie, pour faire connoître que rien ne pouvoit assouvir son insatiabilité (Ou sa vengeance, si c’est Osiris irrité.).

Troisième, la Reine, la massue à la main; sa couronne a les mêmes ornemens que le casque du Roi.

Deuxième, l’Orgueil des Puissans, représenté par les Paons, sur lesquels Junon montrant le Ciel de la main droite, & la Terre de la gauche, annonce une Religion terrestre ou l’Idolâtrie.

Première, le Bateleur tenant la verge des Mages, fait des miracles & trompe la crédulité des Peuples.

Il est suivi d’une carte unique représentant La Folie qui porte son sac ou ses défauts par derrière, tandis qu’un tigre ou les remords, lui dévorant les jarrets, retarde sa marche vers le crime (Cette Carte n’a point de rang: elle complette l’Alphabet sacré, & répond au Tau qui veut dire complément, perfection: peut-être a-t-on voulu représenter dans son sens le plus naturel le résultat des actions des hommes.).

Ces vingt-deux premières Cartes sont non-seulement autant d’hiéroglyphes, qui placés dans leur ordre naturel retracent l’Histoire des premiers tems, mais elles sont encore autant de lettres (L’Alphabet Hébreu est composé de 22 Lettres.) qui différemment combinées, peuvent former autant de phrases; aussi leur nom (A-tout) n’est que la traduction littérale de leur emploi & proptiété générale.

 

II.
Ce Jeu appliqué à la Divination.

Lorsque les Égyptiens eurent oublié la première interprétation de ces Tableaux, & qu’ils s’en furent servis comme de simples lettres pour leur Écriture sacrée, il étoit naturel qu’un peuple aussi superstitieux attachât une vertu occulte (Aussi la science des Nombres & la valeur des Lettres a-t-elle été fort célébre autrefois.) des caractères respectables par leur antiquité, & que les Prêtres, qui seuls en avoient l’intelligence, n’employoient que pour les choses religieuses.

On inventa même de nouveaux caractères, & nous voyons dans l’Écriture-Sainte que les Mages ainsi que ceux qui étoient initiés dans leurs secrets, avoient une divination par la coupe (La Coupe de Joseph.).

Qu’ils opéroient des merveilles avec leur Bâton (La Verge de Moyse & Mages de Pharaon.).

Qu’ils consultoient les Talismants (Les Dieux de Laban & les Théraphim, l’Urim & le Thummim.) ou des pierres gravées.

Qu’ils devinoient les choses futures par des Épées (Ils faisoient plus: ils fixoient le sort des combats; & si le Roi Joas avoit frappé la terre sept fois, au lieu de trois, il auroit détruit la Syrie, II. Rois, XIII, 19.), des Flèches, des Haches, enfin par les armes en général. Ces quatre Signes furent introduits parmi les Tableaux religieux aussi-tôt que l’établissement des Rois eut amené la différence des états dans la Société.

L’Épée marqua la Royauté & les Puissans de la Terre.

Les Prêtres faisoient usage de Canopes pour les Sacrifices, & la Coupe désigna le Sacérdoce.

La Monnoie, le Commerce.

Le Bâton, Houlette, l’Aiguillon représenterent l’Agriculture.

Ces quatre Caractères déjà mystérieux, une fois réunis aux Tableaux Sacrés, durent faire espérer les plus grandes lumières; & la combinaison fortuite qu’on obtenoit en mêlant ces Tableaux, formoit des phrases que les Mages lisoient ou interprétoient comme des Arrêts du Destin; ce qui leur étoit d’autant plus facile qu’une construction due au hasard devoit produire naturellement une obscurité consacrée au style des Oracles.

Chaque État eut donc son symbole qui le caractérisa; & parmi les différens Tableaux qui porterent cette image, il y en eut d’heureux & de malheureux, suivant que la position, le nombre des symboles & leurs ornemens, les tendirent propres à annoncer le bonheur ou l’infortune.

III.
Noms de diverses Cartes, conservés par les Espagnols.

Les noms de plusieurs de ces Tableaux conservés par les Espagnols, nous en font connoître la propriété. Ces noms sont au nombre de sept.

Le trois de denier, nombre mystérieux, appellé le Seigneur, le Maître, consacré au Dieu suprême, au Grand Iou.

Le trois de coupe, appellé la Dame, consacré à la Reine des Cieux.

Le Borgne ou l’As de denier, Phoebeoe lampadis instar., consacré à Apollon.

La Vache ou les deux coupes, consacrée à Apis ou Isis.

Le grand Neuf, les neuf coupes; consacré au Destin.

Le petit Neuf de denier, consacré à Mercure.

Le Serpent ou l’As de bâton (Ophion) symbole fameux & sacré chez les Égyptiens.

 

IV.
Attributs Mythologiques de plusieurs autres.

Plusieurs autres Tableaux sont accompagnés d’attributs Mythologiques qui paroissent destinés à leur imprimer une vertu particulière & secrette.

Tels que les deux deniers entourés de la Ceinture mystique d’Isis.

Le quatre de denier, consacré à la bonne Fortune, peinte au milieu du Tableau, le pied sur sa boule & la voile déployée.

La Dame de bâton consacrée à Cérès; cette Dame est couronnée d’épis, porte la peau du lion, de même qu’Hercule le cultivateur par excellence.

Le Valet de coupe ayant le bonnet à la main, & portant respectueusement une coupe mystérieuse, couverte d’un voile; il semble en allongeant le bras, éloigner de lui cette coupe, pour nous apprendre qu’on ne doit approcher des choses sacrées qu’avec crainte, & ne chercher à connoître celles qui sont cachées qu’avec discrétion.

L’As d’Epée consacré à Mars. L’Épée est ornée d’une couronne, d’une palme & d’une branche d’olivier avec ses bayes, pour signifier la Victoire & ses fruits: il ne paroît y avoir aucune Carte heureuse dans cette couleur que celle-ci. Elle est unique, parce qu’il n’y a qu’une façon de bien faire la guerre; celle de vaincre pour avoir la paix. Cette épée est soutenue par un bras gauche sortant d’un nuage.

Le Tableau du bâton du Serpent, dont nous avons parlé plus haut, est orné de fleurs & de fruits de même que celui de l’Épée victorieuse; ce bâton mystérieux est soutenu par un bras droit sortant aussi d’une nuée, mais éclatante de rayons. Ces deux caractères semblent dire que l’Agriculture & l’Épée sont les deux bras de l’Empire & le soutien de la Société.

Les Coupes en général annonçoient le bonheur, & les deniers la richesse.

Les Bâtons destinés à l’Agriculture en pronostiquoient les récoltes plus ou moins abondantes, les choses qui devoient arriver à la campagne ou qui la regardoient.

Ils paroissent mélangés de bien & de mal: les quatre figures ont le bâton verd, semblable en cela au bâton fortuné, mais les autres Cartes paroissent, par des ornemens qui se compensent, indiquer l’indifférence: le deux seul, dont les bâtons sont couleur de sang, semble consacré à la mauvaise fortune.

Toutes les Épées ne présagent que des malheurs, sur-tout celles qui marquées d’un nombre impair, portent encore une épée sanglante. Le seul signe de la victoire, l’Épée couronnée, est dans cette couleur le signe d’un heureux événement.

 

V.
Comparaison de ces Attributs avec les valeurs
qu’on assigne aux Cartes modernes pour la Divination.

Nos Diseurs de bonne-fortune ne sachant pas lire les Hiéroglyphes, en ont soustrait tous les Tableaux & changé jusqu’aux noms de coupe, de bâton, de denier & d’épée, dont ils ne connoissoient ni l’etynologie, ni l’expression; ils ont substitué ceux de cœur, de carreau, de trèfle & de pique.

Mais ils ont retenu certaines tournures & plusieurs expressions consacrées par l’usage qui laissent entrevoir l’origine de leur divination. Selon eux :

Les cœurs, (les Coupes), annoncent le bonheur.
Les Trèfles, (les Deniers), la fortune.
Les Piques, (les Épées), le malheur.
Les Carreaux (Il est à remarquer que dans l’Ecriture symbolique les Égyptiens traçoient des carreaux pour exprimer la campagne.), (les Bâtons), l’indifference & la campagne.
Le neuf de pique est une carte funeste.

Celui de cœur, la carte du Soleil; il est aisé d’y reconnoître le grand neuf, celui des coupes: de même que le petit neuf dans le neuf de trèfle, qu’ils regardent aussi comme un carte heureuse.

Les as annoncent des Lettres, des Nouvelles: en effet qui est plus à même d’apporter des nouvelles que le Borgne, (le Soleil) qui parcourt, voit & éclaire tout l’Univers ?

L’as de pique & le huit de cœur présagent la victoire; l’as couronné la pronostique de même, & d’autant plus heureuse qu’il est accompagné des coupes ou des signes fortunés.

Les cœurs & plus particulierement le dix, dévoilent les événemens qui doivent arriver à la ville. La coupe, symbole du Sacerdoce, semble destinée à exprimer Memphis & le séjour des Pontifes.

L’as de cœur & la dame de carreau annoncent une tendresse heureuse & fidelle. L’as de coupe exprime un bonheur unique, qu’on posséde seul; la dame de carreau indique une femme qui vit à la campagne, ou comme à la campagne: & dans quels lieux peut-on espérer plus de vérité, d’innocence, qu’au village ?

Le neuf de trèfle & le dame de cœur, marquent la jalousie. Quoique le neuf de denier soit une carte fortunée, cependant une grande passion, même heureuse, pour une Dame vivant dans le grand monde, ne laisse pas toujours son amant sans inquiétude, &c. &c. On trouveroit encore une infinité des similitudes qu’il est inutile de chercher, n’en voilà déjà que trop.

 

VI.
Manière dont on s’en servoit pour consulter les Sorts.

Supposons actuellement que deux hommes qui veulent consulter les Sorts, ont, l’un les vingt-deux lettres, l’autre les quatre couleurs, & qu’après avoir chacun mêlé les caractères, & s’être donné reciproquement à couper, ils commencent à compter ensemble jusqu’au nombre quatorze, tenant les tableaux & les cartes à l’envers pour n’en appercevoir que le dos; alors s’il arrive une carte à son rang naturel, c’est-à-dire, qui porte le numéro appellé, elle doit être mise à part avec le nombre de la lettre sortie en même tems, qui sera placé au-dessus: celui qui tiendra les tableaux y remettra cette même lettre, pour que le livre du Destin soit toujours en son entier, & qu’il ne puisse y avoir, dans aucun cas, des phrases incomplettes; puis il remêlera & redonnera à couper. Enfin on coulera trois fois les cartes à fond avec les mêmes attentions; & lorsque cette opération sera achevée, il ne s’agira plus que de lire les numéros qui expriment les lettres sorties. Le bonheur ou le malheur que présage chacune d’elles, doit être combiné avec celui qu’annonce la carte qui leur correspond, de même que leur puissance en plus ou en moins est déterminée par le nombre de cette même carte, multiplié par celui qui caractérise la lettre. Et voilà pourquoi la Folie qui ne produit rien, est sans numéro; c’est, comme nous l’avons dit, le zéro de ce calcul.

 

VII.
C’étoit une grande portion de la Sagesse ancienne.

Mais si les Sages de l’Égypte se servoient de tableaux sacrés pour prédire l’avenir, lors même qu’ils n’avoient aucune indication qui pût leur faire présumer les événemens futurs, avec quelles espérances ne devoient ils pas se flatter de les connoître lorsque leurs recherches étoient précédées par des songes qui pouvoient aider à développer la phrase produite par les tableaux des sorts !

Les Prêtres chez cet ancien Peuple formèrent de bonne-heure une Société savante, chargée de conserver & d’étendre les connoissances humaines. Le Sacerdoce avoit ses Chefs, & les noms de Jannès & Mambrès, que Saint Paul nous a conservés dans sa seconde Epître à Timothée, sont des titres qui caractérisent les fonctions augustes des Pontifes. Jannès (De même que Pharaon signifie le Souverain sans être le nom particulier d’aucun Prince qui ait gouverné l’Égypte.) signifie l’Explicateur, & Manbrès le Permutateur, celui qui fait des prodiges.

Le Jannès & le Mambrès écrivoient leurs interprétations, leurs découvertes, leurs miracles. La suite non-interrompue de ces Mémoires (Le Pape Gelase I. mit en 491 quelques Livres de Jannès & Mambrès au nombre des apocryphes.) formoit un corps de Science & de Doctrine, où les Prêtres puisoient leurs conoissances physiques & morales: ils observoient, sous l’inspection de leurs Chefs, le cours des Astres, les inondations du Nil, les Phénomènes, &c. Les Rois les assembloient quelquefois pour s’aider de leurs conseils. Nous voyons que du tems du Patriarche Joseph ils furent appellés par Pharaon pour interpréter un songe; & si Joseph seul eut la gloire d’en découvrir le sens, il n’en reste pas moins prouvé qu’une des fonctions des Mages étoit d’expliquer les songes.

Les Égyptiens (Long-tems encore après cette époque les Mages reconnurent le doigt de Dieu dans les Miracles de Moyse.) n’avoient point encore donné dans les erreurs de l’idolâtrie; mais Dieu dans ces tems reculés manifestant souvent aux hommes sa volonté, si quelqu’on avoit pû regarder comme téméraire de l’interroger sur ses décrets éternels, il auroit au moins dû paroître pardonnable de chercher à les pénétrer, lorsque la Divinité sembloit, non-seulement approuver, mais même provoquer, par des songes, cette curiosité: aussi leur interpréatation fut-elle un Arts sublime, une science sacrée dont on faisoit une étude particulière, reservée aux Ministres des Autels: & lorsque les Officiers de Pharaon, prisonniers avec Joseph, s’affligeoient de n’avoir personne pour expliquer leurs songes, ce n’est pas qu’ils n’eussent des compagnons de leur infortune; mais c’est qu’enfermés dans la prison du Chef de la Milice, il n’y avoit personne parmi les soldats qui pût faire les cérémionies religieuses, qui eût les tableaux sacrés, bien loin d’en avoir l’intelligence. La réponse même du Patriarche paroît expliquer leur pensée: est-ce que l’interpréatation, leur dit-il, ne dépend pas du Seigneur ? racontez-moi ce que vous avez vu.

Mais pour revenir aux fonctions des Prêtres, ils commencoient par écrire en lettres vulgaires le songe dont il s’agissoit, comme dans toute divination où il y avoit une demande positive dont il falloit chercher la réponse dans le Livre des Sorts, & après avoir mêlé les lettres sacrées on en tiroit les tableaux, avec l’attention de les placer scrupuleusement sous les mots dont on cherchoit l’explication; la phrase formée par ces tableaux, étoit déchiffrée par le Jannès.

Supposons, par exemple, qu’un Mage eût voulu interpréter le songe de Pharaon dont nous parlions tout-à-l’heure, ainsi qu’ils avoient essayé d’imiter les miracles de Moyse, & qu’il eût amené le bâton fortuné, symbole par excellence de l’Agriculture, suivi du Cavalier & du Roi (Le Valet vaut 1., Le Cavalier 2., La Dame 3., Le Roi 4.); qu’il sortît en même tems du Livre du Destin la Carte du Soleil, la Fortune & le fol, on aura le premier membre de la phrase qu’on cherche. S’il sort ensuite le deux & le cinq de bâton, dont le symbole est marqué de sang, que des tableaux sacrés on tire un Typhon & la Mort, il auroit obtenu une espèce d’interprétation du songe du Roi, qui pourroit avoir été écrit ainsi en lettres ordinaires:

Sept vaches grasses & sept maigres qui les dévorent.

Bâton.
1
Le Roi.
4
Le Cavalier.
2
Le
Soleil.
La
Fortune.
Le Fol.

 

2 | de
Bâ- | ton.
5 | de
Bâ- | ton.
Typhon. La
Mort.

 

Calcul naturel qui résulte de cet arrangement.

 

Le Bâton vaut 1. Le Soleil annonce le bonheur
Le Roi 4. La Fortune (Précédée d’une Carte heureuse.) de même.
Le Cavalier 2. Le Fol ou zéro met le Soleil aux centaines.
Total 7. ***

Les Signe de l’Agriculture donne sept.

On lira donc, sept années d’une agriculture fortunée donneront une abondance cent fois plus grande qu’on ne l’aura jamais éprouvée.

Le second membre de cette phrase, formé par le deux & le cinq de bâton, donne aussi le nombre de sept qui, combiné avec le Typhon & la Mort, annonce sept années de disette, la famine & les maux qu’elle entraîne.

Cette explication paroîtra encore plus naturelle si l’on fait attention au sens & à la valeur des lettres que les tableaux représentent.

Le Soleil répondant au Gimel, veut dire, dans ce sens, rétribution, bonheur.

La Fortune ou le Lamed signifie Régle, Loi, Science.

Le Fol n’exprime rien par lui-même, il répond au Tau, c’est simplement un signe, une marque.

Le Typhon ou le Zaïn annonce l’inconstance, l’erreur, la foi violée, le crime.

La Mort ou le Thet indique l’action de balayer: en effet, la Mort est une terrible balayeuse.

Teleuté en Grec qui veut dire la fin, pourroit être, en ce sens, un dérivé de Thet.

Il ne seroit pas difficile de trouver dans les moeurs Égyptiennes l’origine de la plûpart de nos superstitions: par exemple, il paroît que celle de faire tourner le tamis pour connoître un voleur, doit sa naissance à la coutume que ce Peuple avoit de marquer les voleurs avec un fer chaud, d’un … T, & d’un … Samech (Tau, signe: Samech, adhésion.), en mettant ces deux caractères, l’un sur l’autre, pour en faire un chiffre, Signum adherens, qui servît à annoncer qu’on se méfiât de celui qui le portoit, on produit une figure qui ressemble assez à une paire de ciseaux piqués dans un cercle, dans un crible, lequel doit se détacher lorsqu’on prononcera le nom du voleur & le fera connoître.

La Divination par la Bible, l’Évangile & nos Livres Canoniques, qu’on appelloit le sort des Saints, dont il est parlé dans la cent neuviéme Lettre de Saint Augustin & dans plusieurs Conciles, entr’autres celui d’Orléans; les sorts des Saint-Martin de Tours qui étoient si fameux, paroissent avoir été envisagés comme un contre-poison de la Divination Égyptienne par le Livre du Destin. Il en est de même des présages qu’on tiroit de l’Évangile, ad apperturam libri, lorsqu’après l’élection d’un Evêque on vouloit connoître quelle seroit sa conduite dans l’Épiscopat.

Mais tel est le sort des choses humaines: d’une Science aussi sublime, qui a occupé les plus Grands Hommes, les plus savans Philosophes, les Saints les plus respectables, il ne nous reste que l’usage des enfans de tirer à la belle lettre.

 

VIII.
Cartes auxquelles les Diseurs de bonne-aventure, attachent des pronostics.

On se sert d’un Jeu de Piquet qu’on mêle, & on fait couper par la personne intéressée.

On tire une Carte qu’on nomme As, la seconde Sept, & ainsi en remontant jusqu’au Roi: on met à part toutes les Cartes qui arrivent dans l’ordre du calcul qu’on vient d’établir: c’est-à-dire que si en nommant As, Sept, ou tel autre, il arrive un As, un Sept, ou celle qui a été nommée, c’est celle qu’il faut mettre à part. On recommence toujours jusqu’à ce qu’on ait épuisé le Jeu; & si sur la fin il ne reste pas assez de Cartes pour aller jusqu’au Roi inclusivement, on reprend des Cartes, sans les mêler ni couper, pour achever le calcul jusqu’au Roi.

Cette opération du Jeu entier se fait trois fois de la même manière. Il faut avoir le plus grand soin d’arranger les Cartes qui sortent du Jeu, dans l’ordre qu’elles arrivent, & sur la même ligne, ce qui produit une phrase hiéroglyphique; & voici le moyen de la lire.

Toutes les peintures représentent les Personnages dont il peut être question; la première qui arrive est toujours celle dont il s’agit.

Les Rois sont l’image des Souverains, des Parens, des Généraux, des Magistrats, des Vieillards.

Les Dames ont les mêmes caractères dans leur genre relativement aux circonstances, soit dans l’Ordre politique, grave ou joyeux: tantôt elles sont puissantes, adroites, intriguantes, fidelles ou légères, passionnées ou indifférentes, quelquefois rivales, complaisantes, confidentes, perfides, &c. S’il arrive deux Cartes du même genre, ce sont les secondes qui jouent les seconds rôles.

Les Valets sont des jeunes Gens, des Guerriers, des Amoureux, des Petits-Maîtres, des Rivaux, &c.

Les Sept & les Huit sont des Demoiselles de tous les genres. Le Neuf de cœur se nomme, par excellence, la Carte du soleil, parce qu’il annonce toujours des choses brillantes, agréables, des succès, sur-tout s’il est réuni avec le Neuf de trèfle, qui est aussi une Carte de merveilleux augure. Le Neuf de carreau désigne le retard en bien ou en mal.

Le Neuf de pique est la plus mauvaise Carte: il ne présage que des ruines, des maladies, la mort.

Le Dix de cœur désigne la Ville; celui de carreau, la campagne; le Dix de trèfle, fortune, argent; celui de pique, des peines & des chagrins.

Les As annoncent des lettres, des nouvelles.

Si les quatre Dames arrivent ensemble, cela signifie babil, querelles.

Plusieurs Valets ensemble annoncent rivalité, dispute & combats.

Les trèfles en général, sur-tout s’ils sortent ensemble, annoncent succès, avantage, fortune, argent.

Les carreaux, la campagne, indifférence.

Les cœurs, contentement, bonheur.

Les piques, pénurie, soucis, chagrins, la mort.

Il faut avoir soin d’arranger les Cartes dans le même ordre qu’elles sortent, & sur la même ligne, pour ne pas déranger la phrase, & la lire plus facilement.

Les événemens prédits, en bien ou en mal, peuvent être plus ou moins avantageux ou malheureux, suivant que la Carte principale qui les annonce est accompagnée: les piques, par exemple, accompagnés de trèfles, sur-tout s’ils arrivent entre deux trèfles, sont moins dangereux; comme le trèfle entre deux piques ou accolé d’un pique, est moins fortuné.

Quelquefois le commencement annonce des accidens funestes; mais la fin des Cartes est favorable, s’il y a beaucoup de trèfles; on les regarde comme amoindris, plus ou moins, suivant la quantité: s’ils sont suivis du Neuf, de l’As ou du Dix, cela prouve qu’on a couru de grands dangers, mais qu’ils sont passés, & que la Fortune change de face.

Les As:

1 de carreau, 8 de cœur, Bonne Nouvelle.
1 de cœur, Dame de pique, Visite de femme.
1 de cœur, Valet de cœur, Victoire.
1, 9 & Valet de cœur, L’Amant heureux.
1, 10 & 8 de pique, Malheur
1 de pique, 8 de cœur, Victoire.
1 de trèfle, Valet de pique, Amitié.

Les 7 :

7 & 10 de cœur, Amitié de Demoiselle.
7 de cœur, Dame de careau, Amitié de femme.
7 de carreau, Roi de cœur, Retard.

Les 9:

Trois Neufs ou trois Dix, Réussite.

Les 10:

10 de trèfle, Roi de pique, Présent.
10 de trèfle & Valet de trefle, Un Amoureux.
10 de pique, Valet de careau, Quelqu’un d’inquiet.
10 de cœur, Roi de trèfle, Amitié sincère.