Tours de cartes et arnaques variées Tours de cartes et de mains, (art d’Escamotage). Les tours de cartes sont des tours de gibecière ou d’esprit. Il ne faut pas charger cet ouvrage d’exemples de ces bagatelles, mais on en doit citer quelques uns pour apprendre aux hommes à chercher les causes de plusieurs choses qui leur paraissent fort surprenantes. Les joueurs de gibecière font changer en apparence une carte dans une autre; par exemple un as de cœur en un as de trèfle. Pour en faire autant qu’eux, vous prendrez ces deux as, vous collerez un petit morceau de papier blanc bien mince sur vos deux as avec de la cire blanche. Sur l’as de cœur vous collerez un trèfle, et sur l’as de trèfle vous collerez un cœur. Vous montrerez ces deux as collés à tout le monde avec un peu de vitesse. Vous montrerez d’abord l’as de cœur, puis vous direz ; Messieurs, vous voyez bien que c’est l’as de cœur. Vous ferez mettre le pied dessus, en mettant l’as sous le pied, vous tirerez avec le doigt le petit papier qui est attaché sur la carte. Vous montrerez ensuite l’as de trèfle, en le mettant sous le pied d’une autre personne qui soit éloignée de la première, vous ôterez aussi le papier de dessus la carte. Vous commanderez ensuite à l’as de cœur de changer de place, d’aller à celle de l’as de trèfle et à l’as de trèfle, d’aller à celle de l’as de cœur. Enfin vous direz à celui qui aura mis le pied sur l’as de cœur, de montrer sa carte, il trouvera l’as de trèfle, et celui qui a mis le pied sur l’as de trèfle, trouvera l’as de cœur. Un autre tour de carte. Après avoir battu un jeu de cartes, vous ferez tirer une carte du jeu, puis vous disposerez les cartes en deux tas. Vous ferez poser celle que l’on a tirée sur un des deux tas. Ayant cependant mouillé le dos de votre main droite avec un peu d’eau, et mis les deux mains l’une dans l’autre, vous poserez le dos de votre main droite sur le tas où l’on a mis la carte. Par ce moyen vous l’enlèverez, et en tournant autour, vous la mettrez dans votre chapeau avec la figure tournée de votre côté, afin de voir qui elle est. Vous ferez poser une main sur le tas où l’on a mis la carte que vous avez tiré? pendant ce temps là vous prendrez l’autre tas et vous le mettrez sur votre carte dans votre chapeau. Vous remettrez le second tas sur la table avec la carte dessus. Vous demanderez ensuite à la personne où il a mis sa carte, il vous dira, sur le tas où j’ai la main. Vous lui répondrez qu’elle est sous l’autre, et vous lui direz quelle est cette carte avant que la lever. Pour deviner toutes les cartes d’un jeu les unes après les autres, il faut d’abord en marquer une, puis battre les cartes, de sorte que celle que l’on a marqué se trouve dessus ou dessous. Supposons que l’on est marqué le roi de pique. Il faut mettre les cartes derrière son dos et annoncer que l’on va tirer le roi de pique. On tire effectivement le roi de pique qu’on a marqué; mais en le tirant on en tire une seconde que l’on cache dans sa main puis que l’on garde en jetant la première que l’on a supposé être le roi de pique. La seconde que l’on a regardé en jetant la première soit une dame de cœur, on annonce qu’on va tirer une dame de cœur, mais en la tirant, on en tire une troisième qu’on regarde pendant qu’on jette la seconde, et ainsi de suite jusqu’à la dernière. Si vous voulez deviner la carte qu’on aura touchée, il faut faire tirer une carte du jeu, la mettre sur la table, repérer une tâche particulière sur cette carte (cela est facile, car il n’y a pas une carte qui n’ait une marque particulière) vous dites ensuite qu’on la remette dans le jeu, puis que l’on batte les cartes. Quand elles sont bien battues, vous les prenez et montrez la carte que l’on a touché. Pour trouver la carte que quelqu’un aura pensé, il faut premièrement, diviser les cartes en cinq ou six tas. Faire en sorte qu’il n’y ait que cinq ou sept cartes à chaque tas. Deuxièmement, il faut demander en montrant les tas les uns après les autres, dans quel tas est la carte à laquelle on a pensé, et en même temps compter combien il y a de cartes dans ce tas. Troisièmement, il faut mettre les tas les uns sur les autres, et faire en sorte que celui où est la carte pensée soit dessous. Quatrièmement, il faut encore faire autant de tas qu’il y avoir de cartes dans le tas où était la carte pensée, sans y employer tout le jeu, mais garder autant de cartes qu’il en faut pour en mettre une sur chaque tas. Cinquièmement, il faut montrer les tas les uns après les autres, puis demander une seconde fois dans quel tas est la carte pensée. Elle sera précisément la première du tas qu’on vous indiquera. Il est aisé de deviner les cartes de dessus dans trois tas de cartes. Pour cet effet, remarquez une carte dans le jeu que vous faites trouver dessus en battant. Après cela vous faites trois tas sur l’un desquels se trouve la carte que vous connaissez. Il faut appeler la carte que vous connaissez, la première au lieu de la prendre, vous en prenez une autre, que vous regardez, laquelle vous appelez en prenant celle du second tas. Enfin vous appelez celle ci en prenant celle que vous connaissez d’abord. Ayant donc en votre main les trois cartes que vous avez appelées, vous les faites voir selon l’ordre dans lequel vous les avez appelées. Pour faire trouver trois valets ensemble avec une dame. Quoiqu’on ai mis comme valet avec la dame sur le jeu, un valet dessous et l’autre dans le milieu du jeu, voici ce qu’on fait. On ôte trois valets et une dame du jeu que l’on met sur la table, ensuite on dit, en montrant les trois valets : « Messieurs, voilà trois drôles qui se sont bien divertis au cabaret, après avoir bien bu et bien mangé, ils demandent l’un à l’autre s’ils ont de l’argent. Il se trouve que tous trois n’ont pas un sou. Comment faire, dit l’un d’eux ? Il faut demander encore du vin à l’hôtesse, et tandis qu’elle ira à la cave, nous nous enfuirons ». Tous trois y consentent, appellent l’hôtesse, qui est la dame qu’on montre, et l’envoient à la cave. Pour cela vous renversez la dame sur la table, après quoi vous dites : « Allons, il faut faire enfuir nos trois gaillards ! ». Vous en mettez un sur le jeu, un dessous, puis l’autre au milieu. Notez qu’avant que vous fassiez le tour, il faut faire en sorte que le quatrième valet se trouve dessous, ou sur le jeu de cartes. L’hôtesse étant de retour, et ne trouvant pas ses trois gaillards, se met en état de courir après. Dites « Faisons la courir, voyons si elle pourra attraper nos trois drôles ». Pour cela vous la mettez sur le jeu, après quoi vous donnez à couper à quelqu’un de la compagnie. Il est certain qu’en jetant les cartes les unes après les autres, on trouvera trois valets avec la dame. Le dernier tour que je vais décrire est le tour des jetons. Vous faites compter par une personne dix huit jetons, vous en prenez 6 pendant ce temps là dans la bourse, et vous les cachez entre le pouce et le premier doigt de votre main droite. Ensuite vous dites, « Monsieur, vous avez compté dix huit jetons », on vous répond que oui. Vous ramassez les jetons, et en les ramassant vous laissez tomber les six que vous avez dans votre main avec les dix huit, vous les mettez tous dans la main de la personne qui les a comptés auparavant, ainsi il y en a vingt quatre au total. Ensuite vous lui dites : « Combien souhaitez vous qu’il y en ait dans votre main, entre dix huit et vingt quatre ? » Si l’on dit: « je souhaite qu’il y en ait vingt trois », vous dites : « monsieur, rendez moi un de vos jetons », et vous lui faites observer qu’il en reste dix sept, parce que vous lui avez fait croire que vous ne lui en avez donné que dix huit. Enfin vous prenez des jetons dans la bourse, et vous comptez 18, 19, 20, 21, 22 et 23. Vous ramassez ces six jetons en faisant semblant de les mettre dans votre main gauche mais vous les retenez dans la droite, que vous fermez, et vous faites semblant de les faire passer avec les dix sept autres, en ouvrant votre main gauche, vous tenez cependant les six jetons dans votre main droite, et vous dites à la personne de compter ces jetons. Il trouvera le nombre qu’il a demandé, qui est vingt trois. Vous mêlez vos six jetons parmi les vingt trois en les ramassant, et vous remettez le tout ensemble dans la bourse, ou les remettant secrètement dans la main de la même personne avec six autres jetons. Vous lui dites de fermer la main, et vous lui demandez combien il veut qu’il s’y en trouve de vingt trois à vingt neuf. S’il en demande, par exemple, vingt six, vous lui dites de vous en donner trois, puis de vingt trois à vingt six vous comptez trois, que vous faites semblant de faire passer dans la main avec les autres, comme vous avez fait ci dessus. Vous lui dites de compter, il s’en trouve vingt six. Vous les ramassez, et en les ramassant vous remettez les trois que vous avez dans votre main avec les autres, et vous serrez le tout ensemble. Comme il y a des personnes qui se trouveront embarrassées, si au lieu de vingt trois jetons que j’ai supposés, l’on en demandait dix neuf, combien il faudrait demander des jetons ? On remarquera dans ce cas combien il faut de jetons depuis le nombre que la personne demande jusqu’à vingt quatre. Ce qu’il restera est le nombre qu’il faut demander, ce que l’on comprend sans peine. Il ne sera pas fort difficile de deviner la plupart des autres tours de ce genre, dès qu’on en cherchera vivement la clé. Mais il se présente quelquefois en public des hommes qui font des tours fort surprenants, d’un autre genre, et que les physiciens eux mêmes ont bien de la peine à expliquer. Il n’entre dans ces tours point d’esprit, de ruse ou d’escamotage. ce sont des épreuves vraies, et qu’aucun spectateur ne peut imiter. En un mot ces tours dépendent nécessairement d’une conformation d’organes particuliers, fortifiée par une prodigieuse habitude, et accompagnée quelquefois d’une adresse merveilleuse. Ce que le sieur Richardson, anglais, faisait en public à Paris en 1677, était assurément fort étonnant: cet homme qu’on appelait le mangeur de feu, faisait rôtir une tranche de viande sur un charbon dans sa bouche, allumait ce charbon avec un soufflet, et l’enflammait par un mélange de poix noire, de poix résine et de soufre enflammé, ce mélange allumé dans sa bouche produisait le même frémissement que l’eau dans laquelle les forgerons éteignent le fer, & bientôt après il avalait ce charbon enflammé, cette poix, ce soufre & cette résine. Il empoignait un fer rouge avec sa main, qui n’était pas cependant plus calleuse que celle d’un autre homme, enfin il tenait un autre fer rouge entre ses dents. M. Dodart a fait de grands efforts dans les anciens mémoires de l’académie des Sciences pour expliquer tous ces faits dont il avait été témoin avec ses collègues, & avec tout Paris. Il cite des choses approchantes sur le témoignage de Busbeque, d’un M. Thoisnard d’Orléans, & d’une dame de la même ville; mais de tels témoignages particuliers n’ont pas grande force; & d’ailleurs M. Dodart lui même convient qu’il n’était pas possible de soupçonner aucune préparation secrète dans les épreuves du Sieur Richardson, comme dans le charlatan de Busbeque et son moine turc. Richardson faisait également ses épreuves dans les occasions les plus imprévues, comme dans celles qu’il pouvait prévoir, à la cour, à la ville, en public et en particulier, en présence des gens les plus éclairés comme devant tout un peuple. M. Dodart dit aussi qu’il y a des plombiers qui vont quelquefois chercher au fond du plomb récemment fondu des pieces de monnaie que l’on y jette, & qu’on leur donne pour les engager à faire cette épreuve, qui a été souvent répétée dans les jardins de Versailles & de Chantilly; mais vraisemblablement ces plombiers usaient auparavant de quelque ruse pour ne se pas brûler, ou bien avoient les doigts fort calleux, ce qui n’était point, selon M. Dodart lui même, le cas du sieur Richardson, en sorte que ce dernier exécutait apparemment son épreuve du fer chaud par de certaines mesures qu’il prenait pour le poser entre ses dents & sur sa main, faiblement & avec une grande prestesse. Le charbon allumé m’étonne peu; il n’est presque plus chaud dès le moment qu’il est éteint; l’anglais pouvait alors l’avaler; le soufre ne rend pas le charbon plus ardent, il ne fait que le nourrir: sa flamme brûle faiblement; le soufflet avec lequel cet anglais industrieux allumait ce charbon, soufflait apparemment beaucoup plus sur sa langue que sur le charbon même. Le mélange de poix résine, de poix noire & de soufre allumé n’est pas si chaud qu’une bouche calleuse et abreuvée de salive ne puisse bien le souffrir. Les résines ne se fondaient sans doute, et le soufre ne brûlait qu’à la surface, ce qui ne faisait qu’une croûte, et néanmoins la tranche de viande se grillait à merveille. Le bruit que faisait le mélange allumé dans la bouche du mangeur de feu n’était pas l’effet d’une extrême chaleur, mais de l’incompatibilité du soufre allumé avec la salive, comme avec toutes les autres liqueurs aqueuses. Outre que le mélange dont nous venons de parler n’est pas extrêmement chaud, il est gras, & par conséquent il ne peut toucher immédiatement, ou du moins il ne touche que légèrement la langue qui est abreuvée de salive. Mais pour conclure, puisque personne ne pouvait faire les mêmes épreuves que cet anglais, il en faut toujours revenir à une conformation singulière d’organes fortifiée par l’habitude, l’adresse et le tour de main. S’il était vrai qu’il y eût eu quelque secret dans les tours du sieur Richardson, comme il avait intérêt de le laisser croire, il eût rendu quelqu’un capable de soutenir les mêmes épreuves. En ce cas son secret eût mérité une grande récompense, parce qu’on l’aurait appliqué à des usages plus importants & plus sérieux; cependant il n’a donné ni vendu ce prétendu secret à personne, car depuis plus d’un siècle personne ne s’est présenté dans le public faisant les mêmes choses que faisait à Londres & à Paris le sieur Richardson en 1677. (Le chevalier de Jaucourt.) Page ajoutée le 30 janvier 2008