Histoire de la carte à jouer selon l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert * Cartes, s. f. (Jeux.) petits feuillets de carton oblongs, ordinairement blancs d’un côté, peints de l’autre de figures humaines ou autres, et dont on se sert à plusieurs jeux, qu’on appelle par cette raison jeux de cartes. (Voyez Lansquenet, Breland, Tarot, Pharaon, Ombre, Piquet, Bassette, etc. Entre ces jeux il y en a qui sont purement de hasard, et d’autres qui sont de hasard et de combinaison. On peut compter le lansquenet, le breland, le pharaon, au nombre des premiers; l’ombre, le piquet, le médiateur, au nombre des seconds. Il y en a où l’égalité est très – exactement conservée entre les joueurs, par une juste compensation des avantages et des désavantages; il y en a d’autres où il y a évidemment de l’avantage pour quelques joueurs, et du désavantage pour d’autres: il n’y en a presque aucun dont l’invention ne montre que quelques esprit, et il y en a plusieurs qu’on ne joue point supérieurement, sans en avoir beaucoup, du moins de l’esprit du jeu. V. Jeu. Le père Ménestrier, Jésuite, dans sa bibliothèque curieuse & instructive, nous donne une petite histoire de l’origine du jeu de cartes. Après avoir remarqué que les jeux sont utiles, soit pour délasser, soit même pour instruire; que la création du monde a été pour l’Etre suprême une espèce de jeu; que ceux qui montraient chez les Romains les premiers éléments s’appelaient ludi magistri; que Jésus – Christ même n’a pas dédaigné de parler des jeux des enfants: il distribue les jeux en jeux de hasard, comme les dés, voyez Dés; en jeux d’esprit, comme les échecs, voyez Echecs; et en jeux de hasard et d’esprit, comme les cartes. Mais il y a des jeux de cartes, ainsi que nous l’avons remarqué, qui sont de pur hasard. Selon le même auteur, il ne paraît aucun vestige de cartes à jouer avant l’année 1392, que Charles VI. tomba en frénésie. Le jeu de cartes a dû être peu commun avant l’invention de la gravure en bois, à cause de la dépense que la peinture des cartes eût occasionnée. Le P. Ménestrier ajoute que les Allemands, qui eurent les premiers des gravures en bois, gravèrent aussi les premiers des moules de cartes, qu’ils chargèrent de figures extravagantes: d’autres prétendent encore que l’impression des cartes est un des premiers pas qu’on ait fait vers l’impression en caractères gravés sur des planches de bois, & citent à ce sujet les premiers essais d’Imprimerie faits à Harlem, & ceux qu’on voit dans la bibliothèque Bodleyane. Ils pensent que l’on se serait plutôt aperçu de cette ancienne origine de l’Imprimerie, si l’on eût considéré que les grandes lettres de nos manuscrits de 900 ans paraissent avoir été faites par des Enlumineurs. On a voulu par le jeu de cartes, dit le P. Ménestrier, donner une image de la vie paisible, ainsi que par le jeu des échecs, beaucoup plus ancien, on en a voulu donner une de la guerre. On trouve dans le jeu de cartes les quatre états de la vie; le cœur représente les gens d’église ou de chœur, espèce de rébus; le pique, les gens de guerre; le trèfle, les laboureurs; & les carreaux, les bourgeois dont les maisons sont ordinairement carrelées. Voilà une origine & des allusions bien ridicules. On lit dans le père Ménestrier que les Espagnols ont représenté les mêmes choses par d’autres noms. Les quatre rois, David, Alexandre, César, Charlemagne, sont des emblèmes des quatre grandes monarchies, Juive, Grecque, Romaine, & Allemande. Les quatre dames, Rachel, Judith, Pallas, & Argine, anagrame de regina, (car il n’y a jamais eu de reine appelée Argine) expriment les quatre manières de régner, par la beauté, par la piété, par la sagesse, & par le droit de la naissance. Enfin les valets représentent les servants d’armes. Le nom de valet avili depuis, ne se donnait alors qu’à des vassaux de grands seigneurs, ou à de jeunes gentilshommes qui n’étaient pas encore chevaliers. Les Italiens on reçu le jeu de cartes les derniers. Ce qui pourrait faire soupçonner que ce jeu a pris naissance en France, ce sont les fleurs – de – lis qu’on a toujours remarquées sur les habits de toutes les figures en cartes. Lahire, nom qu’on voit au bas du valet de cœur, pourrait avoir été l’inventeur des cartes, & s’être fait compagnon d’Hector & d’Ogier le Danois, qui sont les valets de carreau & de pique, comme il semble que le Cartier se soit réservé le valet de trèfle pour lui donner son nom.